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COMMUNIQUE
Lettre
ouverte au Premier Ministre sur les droits des étrangers dans
les centres de rétention et les zones d’attente
Paris, le 17 octobre 2001
Objet
: Privations de liberté en matière de police des étrangers
– demande d’usage du pouvoir réglementaire pour
renforcer la garantie des droits des étrangers maintenus en
zones d’attente ou retenus en centre de rétention.
Monsieur
le Premier Ministre,
Les
organisations soussignées vous prient de faire usage de votre
pouvoir réglementaire pour apporter une solution aux problèmes
graves qu’elles rencontrent dans le cadre de leurs missions
respectives auprès des étrangers privés de liberté
par les services de police.
Que
ce soit lors de leur arrivée en France – s’ils
demandent l’asile ou se voient opposer un refus d’admission
sur le territoire – ou à l’inverse pour les besoins
de leur éloignement du territoire français, les étrangers
peuvent faire l’objet de mesures administratives de privation
de liberté. Ils se trouvent alors placés sous la responsabilité
des services de police qui les détiennent.
La
loi leur assure en principe le respect d’un certain nombre de
droits mais l’expérience acquise par nos organisations
démontre que ces garanties restent trop souvent purement formelles.
Des dérives graves ont été observées et
sont régulièrement dénoncées, s’agissant
notamment des conditions matérielles de privation de liberté,
par le Comité de prévention de la torture du Conseil
de l’Europe.
Une
part importante de ces graves difficultés serait pourtant résolue
par le recours à un certain nombre de dispositions techniques
simples, relevant du pouvoir réglementaire.
Aussi,
nous vous demandons –sans préjudice des modifications
législatives qui seraient nécessaires – de bien
vouloir compléter les décrets n° 2001-236 du 19
mars 2001 relatif aux centres et locaux de rétention et n°
95-507 du 2 mai 1995 relatif aux zones d’attente, pour y apporter
un certain nombre de garanties nécessaires pour assurer l’effectivité
des droits des personnes privées de liberté.
I – Sur les locaux et centres de rétention
La
loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d’entrée
et de séjour des étrangers en France a modifié
fondamentalement l’ordonnance du 2 novembre 1945. Elle y a inséré
un article 35 bis définissant la rétention administrative
des étrangers visés par une mesure d’éloignement.
Pour
son application concrète, une série de décisions
réglementaires a été prise sans jamais toutefois
définir de façon précise les modalités
de la privation de liberté, jusqu’à ce que cette
lacune soit complétée par un décret du 19 mars
2001 (JO du 20 mars) et un arrêté pris pour son application
le 24 avril suivant (JO du 18 mai), comportant un modèle de
règlement intérieur de centre de rétention.
Attendus
depuis près de 20 années, ces textes ont pour objectif
de mettre un terme aux dérives constatées et de mieux
encadrer juridiquement les lieux de rétention, ce qui ne peut
que recueillir notre approbation. Ils sont cependant totalement silencieux
sur les modalités de l’accès des retenus à
un avocat. Cette garantie essentielle prévue par la loi n’est
dans les faits pas effective.
Il
est en effet très rare que les retenus reçoivent effectivement
la visite d’un conseil, qu’ils rencontrent généralement
pour la première fois à l’audience, alors même
que le législateur de 1998 est intervenu pour préciser
que cette rencontre devait pouvoir se faire « dès le
début du maintien » et sous le bénéfice
de l’aide juridictionnelle, « le cas échéant
».
C’est pourquoi nous vous prions de bien vouloir compléter
ce dispositif réglementaire en y ajoutant les dispositions
suivantes, qui paraissent nécessaires pour garantir l’effectivité
de ce droit prévu par la loi.
1)
Sur les horaires de visite de l’avocat
La
pratique a montré que l’intervention de l’avocat
se heurte en premier lieu aux horaires de visite qui lui sont parfois
opposés, déterminés de manière hétérogène
sur le territoire et alignés dans de nombreux cas sur ceux
réservés aux familles et visiteurs.
On
observera tout d’abord que la loi n’a limité ni
la durée, ni les horaires des rencontres d’un étranger
avec son avocat. L’étranger dispose en effet de très
peu de temps pour exercer les divers recours qui lui sont ouverts
(48 heures pour saisir le tribunal administratif ou pour faire appel
d’une ordonnance prolongeant sa rétention), de sorte
que l’avocat intervient le plus souvent dans l’urgence.
Le
modèle de règlement intérieur annexé à
l’arrêté du 24 avril 2001 prévoit certes,
« par dérogation » aux horaires des autres visiteurs,
que les avocats bénéficieront d’horaires de visite
que l’on suppose élargis, mais n’interdit pas que
des restrictions horaires soient apportées.
Ceci
est d’autant plus choquant que l’article 20 du même
modèle de règlement prévoit que le représentant
consulaire ne sera pas soumis à cette restriction et qu’il
pourra de jour comme de nuis, « sans condition de jour ni d’heure,
rencontrer son ressortissant », ce qui crée une disparité
contraire à la loi qui garantit de la même manière
le droit pour l’intéressé de rencontrer son avocat
comme son consul, sans limitation.
En
matière de zones d’attente la Cour de cassation a récemment
jugé qu’il ne pouvait être opposé aucun
horaire à l’avocat rendant visite à son client,
leur liberté de communication devant pouvoir s’exercer
à tout moment, sans limite, même de nuit (cass. 2ème
civ. 25 janvier 2001). Les mêmes considérations doivent
a fortiori prévaloir dans les centres ou locaux de rétention
où les délais de procédure sont encore plus courts
et plus rapides qu’en matière de zones d’attente.
Dès
lors, nous vous demandons de compléter le décret du
19 mars 2001 afin d’y préciser expressément qu’aucune
restriction d’horaire ou de temps ne saurait être opposée
à l’avocat rendant visite à un étranger
retenu.
2)
Sur le contrôle d’entrée
L’article
19 du modèle de règlement intérieur annexé
à l’arrêté du 24 avril 2001 indique que
les « visiteurs doivent se soumettre obligatoirement au contrôle
de sécurité prévu au moyen de… »
sans autre forme de précision quant au processus de contrôle.
Il
n’est pas expressément indiqué si les avocats
seront soumis à ce contrôle, alors même que l’article
20 mentionne que les représentants consulaires « ne sont
soumis qu’à un contrôle de sécurité
visuel, sans fouille de leur vêtement ni de leurs bagages et
sans passage sous les portiques de détection ».
Il
est bien certain qu’il ne saurait en être autrement des
avocats, auxiliaires de justice, qui ont prêté serment
devant la Cour d’appel de leur barreau et dont la mission constitue
un véritable service public, a fortiori lorsqu’ils interviennent
au titre de l’aide juridictionnelle.
Eu
égard aux errements constatés dans les années
passées, il nous apparaît essentiel que le décret
mentionne expressément cette garantie de confiance à
l’égard de la profession d’avocat en étendant
à ceux-ci l’exception qui n’est, en l’état,
prévue qu’en faveur des seules autorités consulaires.
3)
Sur la confidentialité de la rencontre entre l’étranger
et son avocat
Ni
le décret ni l’arrêté ne garantissent la
confidentialité de l’entretien de l’étranger
retenu avec son avocat. On observera que le médecin n’a
pas plus cette assurance.
Cependant,
l’article 20 du modèle de règlement intérieur
offre aux représentants consulaires cette possibilité
« s’ils le demandent ».
Ici
non plus, aucune disparité de traitement ne saurait être
justifiée et il est essentiel que le décret soit complété
pour prévoir la mise à disposition d’un local
spécifique garantissant la confidentialité des entretiens
des étrangers avec l’avocat.
4)
Sur la confidentialité des communications avec l’extérieur
ou depuis l’extérieur
Marquée
par l’urgence, la procédure de rétention impose
que l’avocat puisse communiquer avec l’extérieur
(familles, associations, avocats, médecins…) mais aussi
avec l’intéressé depuis l’extérieur,
tant dans sa mission d’assistance pour la phase contentieuse
de rétention ou de reconduite à la frontière,
que pour toute mission de conseil qui lui serait confiée par
un étranger retenu.
Le
décret devra donc être complété pour garantir
la confidentialité des communications de l’avocat avec
des tiers à l’extérieur ou, depuis l’extérieur,
avec l’étranger retenu.
5)
Sur l’assistance d’un interprète
L’article
35 bis prévoit le droit d’un étranger retenu à
bénéficier de l’assistance d’un interprète.
Ceci englobe nécessairement le bénéfice des mêmes
facilités pour l’avocat assistant l’étranger.
La nécessité d’un interprète peut apparaître
notamment lors de contacts pris par téléphone par l’avocat
avec la famille d’un étranger.
Il
importe donc que le décret soit complété pour
prévoir le droit pour l’avocat d’être assisté
d’un interprète lorsqu’il rencontre son client
ou intervient dans le cadre de son assistance.
6)
Sur l’affectation de locaux de permanences équipés
Comme
il a été rappelé, l’article 35 bis de l’ordonnance
soumet les barreaux à une véritable mission de service
public. Les ordres ont mis en place des permanences pour assurer la
défense des étrangers auprès des juridictions
dans le cadre du contentieux de la reconduite à la frontière
et du contentieux de la rétention.
La modification de l’article 35 bis par la loi du 11 mai 1998
alourdit la tâche des Ordres puisque les avocats peuvent également
être sollicités pour une mission de conseil, indépendamment
des procédures de reconduite à la frontière et/ou
de rétention.
L’étranger
peut « dès le début du maintien » en rétention
solliciter une telle assistance. Si certains barreaux ne sont pas
soumis à une forte pression de demandes, d’autres en
revanche doivent assurer, notamment au titre de l’aide juridictionnelle,
de très nombreuses missions. L’éloignement géographique
des lieux de rétentions par rapport aux lieux de résidence
professionnelle des avocats et des tribunaux conduit à de nombreux
déplacements qui au surplus retardent les interventions des
avocats.
Il
nous apparaît donc essentiel que le décret soit complété
pour prévoir la possibilité d’instaurer de véritables
permanences d’avocats dans les lieux de rétention, sous
forme de conventions entre les préfets et les ordres (comme
il en est prévu à l’article 14 en matière
de soins), de même que depuis de nombreuses années les
autorités judiciaires ont mis à la disposition des barreaux
des locaux dans les palais de justice pour assurer au mieux leurs
missions sous forme de permanences. Les locaux affectés à
ces permanences devront être suffisamment équipés
pour rendre possible l’exercice de leur mission par les avocats
(téléphone et télécopieur).
II – Sur les zones d’attentes
Les
observations effectuées par nos organisations, et notamment
celles qui sont habilitées en application de l’article
35 quater de l’ordonnance de 1945 pour visiter les zones d’attente,
convergent avec celles du Haut-Commissariat des Nations Unies pour
les Réfugiés (HCR), du Comité européen
pour la prévention de la torture (CEPT) et de certains parlementaires
ayant exercé le droit de visite prévu par la loi, pour
établir un constat des multiples dysfonctionnements ou illégalités
préjudiciables aux étrangers maintenus :
-
difficulté pour les étrangers maintenus de comprendre
la procédure qui leur est appliquée,
- obstacles opposés aux visites d’avocats, notamment
par des limitations horaires incompatibles avec la loi,
- témoignages trop fréquents de violences policières
à l’égard des personnes maintenues, insuffisance
flagrante du personnel médical et paramédical spécialement
affecté pour les personnes maintenues en zone d’attente,
- absence récurrente d’interprète permettant aux
étrangers de comprendre et de se faire comprendre des différents
interlocuteurs,
- obstacles et/ou retards pour l’enregistrement des demandes
d’asile par la police aux frontières,
- absence d’aide et de préparation avant les auditions
relatives à l’examen du caractère manifestement
infondé des demandes d’asile,
- difficultés pour communiquer avec l’extérieur,
- absence d’informations sur les voies de recours possibles,
- absence de communication en temps voulu des dates et heures des
audiences au Tribunal de Grande Instance,
- difficultés permanentes ou limitations des visites des membres
de la famille ou des amis,
- non respect fréquent du délai d’un jour franc
prévu à l’article 5 de l’ordonnance de 1945
avant l’exécution d’une mesure de non-admission,
- inadaptation des conditions de maintien pour des personnes mineures
pourtant maintenues,
- omission régulière de délivrance du sauf conduit
aux personnes admises sur le territoire…
Dans
ces conditions, le dispositif qui prévaut actuellement dans
les zones d’attente ne peut être considéré
comme respectueux du droit des personnes et des règles françaises
et européennes relatives à la protection des droits
individuels.
C’est
pourquoi, sans préjudice d’une modification législative
qui s’impose à court terme, les organisations soussignées
vous prient de bien vouloir faire usage de votre pouvoir réglementaire
pour rendre sans délai un certain nombre de mesures qui renforceraient
les droits des personnes.
Il
est en particulier essentiel de compléter le dispositif réglementaire
existant, par exemple en modifiant le décret n° 95-507
du 2 mai 1995 , sur les points suivants :
1)
Instauration de véritables permanences d’avocats en zone
d’attente
Il
apparaît essentiel que de telles permanences soient instaurées
dans les plus brefs délais. Les considérations développées
plus haut en faveur de l’instauration de permanences d’avocats
dans les centres de rétention sont a fortiori transposables
aux zones d’attente où le Comité européen
de prévention de la torture en a lui-même souligné
la nécessité dans son dernier rapport.
Par
leur objet ces permanences devront pouvoir relever de l’aide
juridique ou juridictionnelle (assistance pour les besoins de la demande
d’asile, comme pour les besoins de la comparution devant le
président du Tribunal de grande instance).
Les
modalités des visites d’avocats aux étrangers
maintenus devront être entourées des mêmes garanties
que celles évoquées ci-dessus au profit des étrangers
retenus en locaux de rétention (absence de limitation horaire
conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation,
confidentialité, assistance d’un interprète, locaux
adaptés et équipés).
2)
Elargissement du droit de visite des associations
L’évolution
de la situation de fait rend nécessaire une réévaluation
des besoins en ce qui concerne les visites d’associations prévues
par la loi.
La
définition de l’étendue de ces visites relève
du pouvoir réglementaire. Les constats accablants et convergents
dressés par les organisations internationales (HCR et CEPT),
les parlementaires et associations intervenant en l’état
de leurs possibilités, montrent l’échec flagrant
du régime actuel des zones d’attente. Les violations
des droits des personnes allant jusqu’à l’atteinte
portée à leur intégrité physique rendent
indispensable un droit de regard accru de la société
civile jouant à cet égard un rôle préventif.
Le
décret de 1995 doit donc être modifié de telle
sorte que les associations ayant pour objet l’aide ou l’assistance
aux étrangers, la défense des droits de l’homme
ou l’assistance médicale ou sociale puissent être
habilitées à accéder de façon permanente
aux zones d’attente pour y apporter l’aide et l’assistance
nécessaire aux étrangers maintenus. Cet accès
permanent devra bénéficier aux associations dont la
vocation est nationale, régionale ou locale, sans distinction.
Les
associations habilitées devront se voir reconnaître la
possibilité d’accéder aussi souvent qu’elles
le souhaitent à la zone d’attente, de jour comme de nuit
et sans avoir à formaliser de demande préalable. Il
devra être clairement spécifié, pour éviter
les difficultés d’interprétation aujourd’hui
parfois opposées aux visiteurs, que le droit de visite s’exerce
sur l’ensemble des locaux et espaces constituant la zone d’attente
telle que la définit l’article 35 quater de l’ordonnance
de 1945 (s’étendant « des points d’embarquement
et de débarquement à ceux où sont effectués
les contrôles des personnes » et pouvant inclure «
un ou plusieurs lieux d’hébergement »
Chaque
association habilitée devra pouvoir désigner le nombre
de représentants qui lui paraît nécessaire pour
répondre aux sollicitations et aux besoins des personnes maintenues,
chacune des personnes ainsi désignée devant recevoir
une habilitation nominative d’accès à la zone
d’attente.
Il
est essentiel que les représentants ainsi habilités
puissent s’entretenir confidentiellement avec les étrangers
maintenus et bénéficier si besoin de l’assistance
d’un interprète.
L’ensemble
des modifications réglementaires demandées ci-dessus
se rattache à des droits d’ores et déjà
édictés par la loi et pourtant mal garantis dans les
faits. Nous attachons donc le plus grand prix à ce que soient
prises ces dispositions relevant de vos pouvoirs, qui s’avèrent
indispensables pour remédier à une situation unanimement
dénoncée comme intolérable.
Certains
que, sensible à nos inquiétudes, vous aurez à
cœur d’y apporter les solutions relevant de votre autorité,
nous vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, à
l’assurance de notre haute considération.
Liste des signataires
Amnesty
International (section française)
Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture
Association de Défense des Droits des Etrangers
ANAFE (Association nationale d’assistance aux frontières
pour les étrangers)
Cimade
Comede
Droits d’urgence
Forum Réfugiés
GAS
GISTI
Ligue des droits de l’homme
Médecins du Monde
MRAP
Ordre des avocats à la Cour de Paris
Syndicat des Avocats de France
Syndicat de la Magistrature