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Hommes & Libertés, n°129, janv-fev-mars 2005

Les Mineurs isolés étrangers ou la négation par la France de l'intérêt supérieur de l'enfant

FRANÇOIS XAVIER CORBEL, du service juridique de la LDH

Disponible sur le site de la LDH : http://www.ldh-france.org

De récentes modifications législatives sont venues confirmer la politique désastreuse menée par la France depuis plusieurs années envers les mineurs isolés étrangers, pourtant particulièrement exposés au danger. Cette politique est aveuglément fondée sur le concept de gestion des flux migratoires, au détriment des principes qui régissent la protection de l’enfance en danger et qui ont naturellement vocation à s’appliquer.

Si la décentralisation telle qu'elle est conduite peut en partie expliquer les graves lacunes dans le dispositif de prise en charge de l'enfance en danger, comme le relève Claire Brisset, défenseure des enfants, dans son rapport 2004, ce constat ne vaut pas pour la catégorie particulière que sont les mineurs isolés étrangers. Le refus effectif de prise en charge et de protection à leur égard résulte bien d'une politique gouvernementale réfléchie, avalisée par le législateur et applicable uniformément sur l'ensemble du territoire français. Les récentes modifications législatives relatives au mineur placé en zone d'attente en attestent.

Contrairement à la Convention internationale relative aux droits de l'enfant (CIDE), pourtant ratifiée par la France, et notamment l'article 3-1 de ce texte aux termes duquel l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions le concernant(1) , le législateur s'est attaché à fournir un cadre juridique au refoulement des mineurs isolés placés en zone d'attente.

La zone d'attente : lieu d'accueil de l'enfance en danger
Le nombre de mineurs ayant quitté leur pays n'est pas connu avec exactitude puisque les seuls chiffres communiqués sont précisément ceux des mineurs demandeurs d'asile. Pour ces derniers, une augmentation exponentielle s'est produite entre 1997 et 2001 puisqu'on est passé de 112 mineurs à 1070, pour revenir en 2003 à 514.

Le placement en zone d'attente de mineurs isolés est fermement dénoncé depuis plusieurs années, tant par de nombreuses associations(2) que par des institutions telles que la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), la défenseure des enfants ou encore le Haut commissariat aux réfugiés (HCR)(3) . Tout mineur isolé devrait en effet être considéré comme étant en situation de danger potentiel. Dès lors, comment placer cet enfant dans une structure dont les seuls objectifs définis résident soit dans son refoulement, soit dans l'examen tendant à déterminer si sa demande d'asile n'est pas manifestement infondée ?

Le mineur n'échappe pas non plus aux nombreuses violences dont peuvent être victimes les adultes, principalement lors de leur renvoi. Ainsi, en 2003, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a été saisie par la défenseure des enfants de violences subies par un mineur âgé de 15 ans, de nationalité chinoise. L'avis de la CNDS publié dans son rapport rendu public en mai 2004 est édifiant. Elle a pu établir que “ le jeune W. a reçu des coups en lien direct avec la tentative de rembarquement : coups donnés au visage et blessures au poignet provoqués par la torsion volontaire des menottes, technique appelée par le gardien de la paix “la mobylette” . La commission a encore pu relever qu'il n'avait pas été “ tenu compte d'un certificat médical indiquant l'incompatibilité de l'état de santé du mineur avec une mesure de garde à vue qui aurait dû entraîner le transfert immédiat dans un service médical approprié ”.

Tous les principes qui régissent en France la protection de l'enfance en danger et auraient naturellement vocation à s'y appliquer volent ainsi en éclat. Avec ce placement, la France contrevient quotidiennement à plusieurs des dispositions issues de la CIDE et, au premier rang desquelles l'article 3-1 précité. L'intérêt supérieur de l'enfant mentionné par cet article comme devant subordonner toute prise de décision relative à sa situation ne saurait en effet s'accommoder d'un placement dans un endroit où à aucun moment un bilan de sa situation n'est envisagé, où l'intervention des professionnels de l'enfance en danger n’est pas prévue et où les particularités inhérentes à sa situation ne sont prises en considération dans aucun domaine. À ce titre, le mineur demandeur d'asile se verra appliquer la même procédure expéditive qu'à l'ensemble des demandeurs d'asile qui ont vu en 2003 pour 95 % d'entre eux leur demande d'asile qualifiée de manifestement infondée. Ce traitement indifférencié du mineur isolé demandeur d’asile va à l'encontre de nombreuses prises de position. Ainsi, dès 1998, la CNCDH recommandait l'admission immédiate sur le territoire français du mineur demandeur d'asile et le HCR préconisait en 2000 pour les enfants en quête de protection une admission sur le territoire et qu’il ne soit pas fait application de la notion de demande manifestement infondée au mineur demandeur d’asile(4) .

Le placement en zone d'attente d'enfants isolés heurte de front d'autres dispositions de cette Convention. Ainsi l'article 37-b qui dispose que “ la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit être en conformité avec la loi, n'être qu'une mesure de dernier ressort et être d'une durée aussi brève que possible ”/. Ou l'article 37-c aux termes duquel “ tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes ”/, puisque seuls les enfants de moins de treize ans qui arrivent à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, où sont placés la quasi-totalité des étrangers en zone d’attente, font l'objet d'un placement dans un lieu spécifique.

S'agissant du droit interne, tant le dispositif de protection de l'enfance en danger que celui de la représentation juridique des mineurs sont purement et simplement écartés. En outre, jusqu'à l'adoption de la loi du 4 mars 2002, s'agissant du placement proprement dit du mineur en zone d'attente, la France y procédait en toute illégalité au regard de l'article 117 du code de procédure civile aux termes duquel l'incapacité juridique du mineur affecte la validité de tout acte qui lui serait notifié pour irrégularité de fond. Cette irrégularité permettait au juge saisi de la demande de prolongation du placement du mineur en zone d'attente, de déclarer la procédure illégale, permettant ainsi l'admission du mineur sur le territoire français, trop souvent malheureusement sans qu'aucune mesure de protection n'accompagne cette admission. Cette situation a conduit à la création par la loi du 4 mars 2002 de l'administrateur ad hoc, “ chargé d'assister le mineur durant son maintien en zone d'attente et d'assurer sa représentation dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles relatives à ce maintien ”.

Le leurre de l'administrateur ad hoc

Le décret d'application du 2 septembre 2003 pris plus d'un an et demi après l'adoption de la loi démontre le peu d'empressement mais surtout le peu d'intérêt que la France accorde à la protection du mineur isolé. L'objectif de cette loi résidait bien dans le contournement de la jurisprudence prononçant l'illégalité du placement du mineur isolé en zone d'attente au motif de son incapacité juridique. Cette conception cynique du rôle de l'administrateur ad hoc figurait d'ailleurs dans l'exposé des motifs puisqu'il y a été fait référence à l’incapacité juridique du mineur et à la jurisprudence déclarant irrecevable les demandes de prolongation du placement en zone d'attente en poursuivant que le nouveau dispositif était susceptible de “ remédier à cette situation ”.

Aucune compétence spécifique en droit des étrangers et en droit d'asile n'est requise de la part des administrateurs ad hoc malgré la recommandation en ce sens adoptée par la CNCDH dans son avis du 24 avril 2002. La connaissance de ces matières, techniques, complexes et objet de fréquentes modifications législatives s'avère pourtant indispensable pour la défense des intérêts du mineur. Le décret ne mentionne pas non plus la prise en charge des frais d'interprétariat, lesquels sont souvent inévitables, ceci encore en méconnaissance de l'avis précité de la CNCDH.

L'Anafé (Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers) présente en zone d'attente a mis en exergue dans son rapport consacré aux mineurs isolés placés en zone d'attente à Roissy(5) , la conception plus que restrictive du rôle de l'administrateur ad hoc et l'absence de toute prise en considération de l'intérêt du mineur. Les refoulements aveugles vers le pays de provenance de mineurs isolés âgés de moins de treize ans avec lesquels l'Anafé n'a que trop rarement le droit de s'entretenir, se sont multipliés depuis le début 2005. À ce jour, les administrateurs ad hoc se sont montrés plus soucieux de répondre à la logique de refoulement du ministère de l'Intérieur et du parquet sous la tutelle duquel ils se trouvent, que d'assurer une quelconque effectivité des droits auxquels peut prétendre le mineur.

Outre que l'administrateur ad hoc se refuse à saisir les autorités compétentes et notamment le juge pour enfants ou encore à exercer les voies de recours contre les ordonnances de placement ou de prolongation du maintien en zone d'attente, il s'oppose aussi à ce qu'un avocat désigné par les proches du mineurs, souvent en lien avec l'Anafé, prenne en charge le dossier et puisse assurer une défense effective de ses intérêts. La situation des mineurs isolés en zone d'attente est désastreuse, la violation de la Convention internationale des droits de l'enfant est flagrante. Le rôle joué jusqu'à ce jour par l'administrateur /ad hoc/ n'a eu pour conséquence que de rendre plus aisé le refoulement de ces enfants.

Le Comité des droits de l'enfant des Nations unies ne s'y est d'ailleurs pas trompé. Faisant suite notamment au rapport alternatif à celui du gouvernement français présenté par la LDH, il n'a pas hésité en juin 2004 à faire officiellement part de son inquiétude auprès des autorités françaises du fait /“ que des enfants non accompagnés arrivant à l'aéroport puissent être renvoyés dans leur pays sans intervention judiciaire et sans évaluation de leur situation familiale ”/(6) . Pourtant, cette conception plus que restrictive des attributions dévolues à l'administrateur /ad hoc/ va à l'encontre des déclarations de la ministre déléguée à la Ville qui, le 21 novembre 2001, affirmait pour s'opposer à un amendement du sénateur Dreyfus-Schimdt, proposant l'inscription dans la loi relative à l'administrateur /ad hoc/ la possibilité pour le mineur de bénéficier du dispositif de protection de l'enfance : /“ L'administrateur /ad hoc/ pourra engager toutes les procédures nécessaires pour assurer la protection du mineur ”/. Ou encore : /“ La désignation de l'administrateur ad hoc dès l'arrivée permettra à celui-ci non seulement d'assurer la représentation légale du mineur dans les procédures et donc d'assurer la défense de ses intérêts, mais également de faire en sorte d'assurer la protection sociale du mineur : l'administrateur /ad hoc/ pourra, en suivant les procédures concernant le mineur faire en sorte de veiller à ses conditions d'accueil en faisant le lien avec les autorités compétentes ”/.

Le dispositif de protection de l'enfance a parfaitement vocation à s'appliquer en zone d'attente. Le président du tribunal pour enfants de Bobigny, territorialement compétent pour l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, a, à plusieurs reprises depuis 2001 estimé que la situation de danger était caractérisée au sens des dispositions de l'article 375 du code civil et ordonné dès lors le placement provisoire du mineur. Ces décisions se heurtent à la réticence du ministère de l'Intérieur et du parquet qui refusent de les appliquer comme de reconnaître l'applicabilité du dispositif de protection de l'enfance au sein de la zone d'attente. Une récent arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris(7) a toutefois consacré une pleine et entière applicabilité de ce dispositif en zone d'attente, mettant ainsi à mal la conception selon laquelle cet espace serait virtuellement située hors du territoire français.

L'artifice de l'administrateur /ad hoc/ a joué pleinement jusqu'à ce jour. L'association qui avait accepté de remplir ce rôle avec un certain zèle vient de jeter l'éponge. La Croix Rouge, prend le relais. Espérons que le dispositif de protection de l'enfance en danger sera systématiquement enclenché, notamment sur le fondement de l'arrêt précité. Cet arrêt revêt une importance primordiale puisque la compétence du juge pour enfants est pleinement consacrée. Toutefois, la suspicion, déjà généralisée, sur la minorité du jeune en zone d'attente risque encore de s'amplifier pour faire échec à l'immixtion de ce magistrat dans la procédure. La meilleure parade retenue par l'administration pour nier les droits auxquels l'enfant peut prétendre réside en effet tout simplement dans la négation de sa qualité de mineur. Pour ce faire, l'administration n'hésite pas à faire pratiquer des examens médicaux, fondés en partie sur l'expertise osseuse, à partir d'études mises en place en 1930, dont tous les spécialistes s'accordent à dire qu'elle est aujourd'hui dépassée, que les résultats obtenus ne sont pas fiables et présentent en tout état de cause une marge d'erreur d'environ 18 mois(8) .

Cet examen continue toutefois d'être effectué alors même que de nombreuses décisions juridictionnelles ont nié sa valeur probante et il est même pratiqué à l'encontre de mineurs qui disposent de documents d'état civil qui attestent de leur minorité, dont il n'est pas démontré qu'ils sont faux ou falsifiés, en contradiction avec l'article 47 du code civil(9) . Cet examen est également opposé au mineur isolé étranger présent sur le territoire français pour s'opposer à son accession au dispositif de protection de l'enfance en danger.

Une nouvelle catégorie de sans papiers

Par ailleurs, la loi du 4 mars 2002 instituant l'administrateur /ad hoc/ ne traite pas de la situation de mineurs isolés présents sur le territoire français, mais des seuls cas des mineurs demandeurs d'asile. Le droit commun a en conséquence totalement vocation à leur être appliqué. Tant la mise en œuvre du dispositif de protection de l'enfance en danger que celle relative à la représentation juridique du mineur ne sont en effet subordonnées ni à une quelconque régularité du séjour en France ni à une condition de nationalité.

Pourtant, certains acteurs institutionnels sont réticents à prononcer l'une ou l'autre de ces mesures sans qu'aucune justification sérieuse ne soit avancée. La notion d'enfance en danger apparaît ainsi comme étant à géométrie variable selon qu'est saisie de la situation l'Aide sociale à l'enfance, le parquet ou encore le juge pour enfants. Quant à la mise en place d'une tutelle, elle demeure tout aussi aléatoire face à l'interprétation contestable des textes du code civil par certains juges des tutelles ou tout simplement car elle n'est pas demandée, voire qu'elle fait l'objet d'une contestation par l'Aide sociale à l'enfance lorsqu'elle a été ordonnée.

Bien loin de tenter de rendre plus effective la protection due aux mineurs isolés, la loi Sarkozy du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers et à la nationalité est venue aggraver en substance le sort qui leur était réservé en modifiant les règles d'acquisition de la nationalité française.

L'ancien article 21-12 alinéa 3 - 1° du code civil disposait que pouvait réclamer la nationalité française /“ l'enfant recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ou confié au service de l'aide sociale à l'enfance ”/. Aucune condition d'antériorité de placement n'était requise. Le législateur a modifié le texte en insérant une condition d'antériorité du placement du mineur. Désormais, pour pouvoir prétendre à la nationalité française, le mineur devra avoir été recueilli et élevé depuis au moins cinq ans par une personne de nationalité française ou avoir été confié au service de l'aide sociale à l'enfance depuis au moins trois ans. Le ministère de l'Intérieur a confirmé l'objectif recherché en indiquant dans une circulaire du 20 janvier 2004(10) qu'il s'agissait de /“ lutter contre l'immigration clandestine de mineurs isolés ”/. Les conséquences de cette modification s'avèrent redoutables pour les mineurs entrés après l'âge de 15 ans qui représentent la catégorie la plus importante des mineurs isolés présents sur le territoire français.

Les travailleurs sociaux dénoncent la situation de multiples jeunes qui se retrouvent à la rue ou, pour les 16/18 ans, privés d'autorisation de travail, ne peuvent plus entrer en formation professionnelle. Face à cette situation, des professionnels de l'enfance se sont mobilisés et ont créé un collectif dénommé Rime (11) , destiné notamment à saisir les autorités compétentes de propositions concrètes susceptibles de remédier à cette situation. En juin 2004, ce collectif a adressé une lettre au ministre de l'Intérieur sollicitant une réforme en vue de permettre à cette catégorie de mineurs isolés arrivés à l'âge de la majorité l'accès à un titre de séjour. La réponse qui vient seulement de parvenir à Rime confirme le peu d'intérêt que le ministère accorde à ces jeunes et, plus généralement, à la protection de l'enfance en danger.

La seule réponse que le ministre entend apporter à cette situation est l'adoption d'une prochaine circulaire permettant aux préfets, dans le cadre de leur pouvoir d'appréciation et à titre dérogatoire, d'admettre au séjour ces jeunes majeurs après un examen au cas par cas. Aucune réponse n'est apportée à la question de l'incertitude dans laquelle se trouvent les intéressés et les intervenants sociaux, face à toute possibilité légale de régularisation, seule susceptible de rendre effectif un projet d'insertion à long terme. Le sort de ces mineurs isolés et de ces jeunes majeurs est ainsi laissé à l'appréciation aléatoire des préfets, alors même que l'expérience en droit des étrangers démontre au quotidien les difficultés auxquelles sont trop souvent confrontés les ressortissants étrangers pour obtenir l'application des dispositions légales en vigueur, auxquelles ils peuvent pourtant prétendre.

Un rapport(12) commandé par la Direction des populations migrantes confirme ce constat. L'association Questus (Association d'études et de recherches en sociologie) en charge de ce rapport, dresse un bilan sévère de l'accueil et de la prise en charge des mineurs isolés en France et n'hésite pas à parler de l'/“ application hésitante du principe de l'enfance en danger ”/ ou encore de la notion d'enfance qui s'estompe dans celle d'immigration. Et de fait, la France a bien décidé de privilégier aveuglément sa politique de gestion des flux migratoires au détriment de l'intérêt supérieur de l'enfant et des principes de base qui s'appliquent en matière de protection de l'enfance en danger. Cette politique, fondée en grande partie depuis plusieurs années sur le principe de suspicion généralisée de fraude et de détournement de procédure des ressortissants étrangers, semble désormais régir celle menée envers les mineurs isolés étrangers. Après un usage intempestif des notions de mariage de complaisance, de certificats médicaux de complaisance ou encore de paternité de complaisance, faut-il s'attendre à voir apparaître celle d'enfance en danger de complaisance, qui a déjà gouverné l'adoption de ces récentes modifications législatives ?