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Mineurs isolés en zone d’attente : mise en place d’un administrateur ad hoc

Hélène Gacon, Anafé

Syndicat des Avocats de France – Colloque du droit des étrangers – Lille, 22 mars 2003


Quelques évolutions récentes

Le profil des mineurs isolés arrivant en France par la voie aérienne ou aéroportuaire – et donc placés en zone d’attente - est en constante évolution. Du point de vue quantitatif, l’augmentation est très nette : 1 070 pendant l’ensemble de l’année 2001, sur un nombre total de 23 072 étrangers placés en zone d’attente. Au terme des huit premiers mois de l’année 2002, 857 étaient déjà recensés, sur un total de 14 062 étrangers maintenus au cours de cette même période. Ce phénomène était pourtant relativement rare il y a encore cinq ans. Du point de vue qualitatif, l’année 2002 semble avoir révélé une évolution tout à fait nouvelle, sans que personne n’ait encore pu en analyser les raisons. En effet, si la quasi-totalité des mineurs isolés placés en zone d’attente étaient jusqu’en 2001, des demandeurs d’asile (1 018 sur un total de 1 070 en 2001), tel n’est plus la cas selon les statistiques fournies par le ministère de l’intérieur pour la période couvrant les huit premiers mois de l’année 2002 : sur les 857 mineurs isolés maintenus en zone d’attente, 463 seulement étaient des demandeurs d’asile et 394 faisaient donc partie des catégories des non-admis et des transits interrompus. On arrive donc à un rapport de 50/50%.

La Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, relevant du ministère de l’intérieur, fournit également des statistiques plus précises mais uniquement à propos de la catégorie des mineurs isolés demandeurs d’asile. Lorsqu’elle compare les périodes des huit premiers mois des années 2001 et 2002, elle constate donc que 702 mineurs isolés ont été placés en zone d’attente en 2001, contre 463 en 2002, ce qui traduit une évolution de –34%. On relève également que la première année, 488 des 702 mineurs demandeurs d’asile isolés ont un âge compris entre seize et dix-huit ans ; en 2002, cette frange était de 330 sur 463. La DLPAJ indique un taux d’admission sur le territoire des mineurs isolés demandeurs d’asile seulement pour la période de 2002 : 79,7% et ne précise d’ailleurs pas les motifs de ces admissions (décisions ministérielle - demandes manifestement fondées ou admissions exceptionnelles à titre humanitaire – ou judiciaires – juge des libertés et de la détention ?). Quelques données géographiques enfin, même si elles sont incomplètes pour la comparaison entre les mêmes périodes des deux dernières années : pendant les huit premiers mois de l’année 2001, 57,8 % des mineurs isolés demandeurs isolés étaient des Sierra léonais et ils n’étaient plus que 26,3% pour la même période en 2002 (-54,5%). Nous ne disposons de rien pour la période de 2001 mais apprenons que pour celle de 2002, 9,30 % des mineurs isolés demandeurs d’asile sont Chinois et 9% sont Guinéens.

L’on sait enfin que parmi les mineurs isolés qui sont simplement non admis ou en transit interrompu, l’augmentation de la proportion des chinois est marquante, bien que nous ne disposions toutefois d’aucune donnée chiffrée. Nous ignorons également les raisons pour lesquelles il est fréquent que ceux-ci ne demandent pas l’asile.

La loi du 4 mars 2002

La loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale intègre par son article 17 de nouvelles dispositions dans l’article 35 quater de l’ordonnance du 2 novembre 1945 et prévoit la nomination d’un administrateur ad hoc pour les mineurs isolés placés en zone d’attente. Celui-ci, qui est désigné par le procureur de la République, est chargé d’assister le mineur durant son maintien en zone d’attente et d’assurer sa représentation juridique dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles relatives à ce maintien.

L’adoption de cette modification vise à mettre un terme définitif à une jurisprudence de la cour d’appel de Paris qui, saisie à propos de la prolongation du maintien du mineur isolé en zone d’attente, prononçait la fin de ce placement et avait pour conséquence de faire admettre immédiatement le mineur sur le territoire français, au motif que son incapacité juridique affectait la validité de la procédure dont il faisait l’objet en vertu de l’article 117 du NCPC. Cette jurisprudence avait toutefois été « fragilisée » entre temps par la Cour de cassation (Cass. Civ. 2ème, 2 mai 2001).

Les oppositions exprimées lors des débats parlementaires

Rappelons en quelques termes les inquiétudes exprimées publiquement à propos du projet de loi :
- La CNCDH , qui s'est auto-saisie de cette question au mois de septembre 2000, «recommande l'admission immédiate des mineurs sur le territoire» et réclamait à tout le moins que toute mesure de refus d’admission sur le territoire prise à l’encontre d’un mineur isolé puisse être contestée avec un effet suspensif, contrairement au droit commun ;
- Dans son rapport du 11 octobre 2000, M. Louis Mermaz n’hésitait pas à affirmer que «l'admission des mineurs devait être la règle» ;
- Le HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) condamnait en décembre 2000 la législation française et considérait que «les mineurs demandeurs d'asile ne devraient pas faire l'objet d'une détention en zone d'attente. Ils devraient avoir un accès systématique au territoire» ;
- Pour la Défenseure des Enfants, «tout mineur étranger isolé arrivant doit par définition être considéré comme en danger » et doit en conséquence avoir « l'assurance formelle qu'il sera accueilli sur le territoire » (octobre 2000) ;
- Le 4 octobre 2000, un groupe d'organisations associatives et syndicales (AMJF, ANAFE, CIMADE, CNAEMO, COFRADE, GISTI, LDH, MRAP, SAF, SM, SNPES-PJJ, La Voix de l'enfant) demandait que tout «mineur étranger isolé» fasse l'objet d'une admission immédiate, tout en appelant au respect de la présomption de minorité et du dispositif de protection des mineurs (saisine du juge des enfants et du juge des tutelles) ;
- L'Anafé (Association Nationale d’Assistance aux Frontières pour les Etrangers) a pour sa part constamment maintenu sa position, conforme aux engagements internationaux de la France (Convention internationale des Droits de l'enfant et Convention de Genève relative au statut des réfugiés), selon laquelle «dès lors qu'un mineur étranger se présente seul, une situation de danger doit être présumée. Aucun mineur isolé ne peut être placé en zone d'attente. Il risque d'être refoulé à tout moment, ce qui est manifestement contraire à l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui prohibe toute mesure d'éloignement» (septembre 2000).

Un décret d’application en panne

La mise en œuvre de cette modification législative est maintenant subordonnée à la parution d’un décret fixant les modalités de constitution de la liste des personnes morales ou physiques pouvant être désignées comme administrateur ad hoc par le procureur de la République. Ce texte tarde encore aujourd’hui à être annoncé et semble être l’objet de difficultés d’accord entre les ministères concernés.

En réponse à une question parlementaire portant sur l’état d’avancement de ce projet de décret (Mme Ségolène Royal, qui était ministre de la famille lors de l’adoption de la loi), le nouveau Garde des sceaux indiquait le 16 septembre 2002 que ce texte était « en voie d’achèvement. Il déterminera les modes de désignation et d’indemnisation des administrateurs ad hoc pour les mineurs étrangers isolés (…). Après consultation de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, un travail interministériel approfondi a été mené sur ce texte techniquement délicat. Il convient en effet de prévoir une procédure de désignation simple et rapide et un mécanisme de rémunération adapté et souple, en fonction des diverses missions susceptibles d’être confiées à l’administrateur ad hoc le plus souvent dans l’urgence. De tels éléments sont seuls de nature à permettre un bon fonctionnement du dispositif instauré dans l’intérêt de l’enfant » (Question écrite n°2691, 16 septembre 2002, Assemblée nationale, 2 décembre 2002, p. 4664).

En attendant l’administrateur ad hoc…

En attendant la parution du décret et l’intervention de l’administrateur ad hoc, le sort des mineurs isolés en zone d’attente sur le terrain semble flou et aléatoire. En effet, certains magistrats préfèrent rester dans une « logique de protection », c’est-à-dire continuent à voir dans la minorité une cause d’irrecevabilité de la saisine du juge judiciaire en vertu de l’article 117 du NCP, sachant que les mineurs seront immédiatement présentés au Parquet (et demandent à la Croix-Rouge, présente dans la salle d’audience de Bobigny à des fins humanitaires, d’accompagner l’intéressé lors de la traversée du Palais…). D’autres en revanche appliquent littéralement la jurisprudence de cour de cassation du 2 mai 2001, c’est-à-dire prolongent le maintien en zone d’attente, le texte actuel ne faisant aucune distinction entre les mineurs et les majeurs.

Un administrateur ad hoc pour quoi faire ?

Tout au long des débats parlementaires, le gouvernement a manifestement cherché à éviter que le mineur puisse bénéficier de l’ensemble du dispositif de protection de l’enfance alors que son arrivée seul révèle une situation de danger, durable ou temporaire.

Ainsi, le gouvernement s’est notamment opposé à un premier amendement du sénateur Dreyfus-Schmidt qui prévoyait que « le juge des libertés et de la détention a la possibilité […] de prendre, en France, à son égard toute mesure éducative ». Il a ensuite fait obstacle devant l’Assemblée nationale à un amendement qui ajoutait que « le procureur de la République, d’office ou à la demande de l’administrateur ad hoc, peut saisir le juge des enfants, afin que le mineur bénéficie d’une mesure de protection prévue par l’article 375 et suivants du code civil ou le juge des tutelles, afin, le cas échéant, qu’une mesure prévue aux articles 373 et 390 du code civil soit organisée ».

Mais il est clair que même si le gouvernement est parvenu à écarter des textes le droit à une véritable protection de l’enfant, il n’a pu nier son existence : ainsi, pour s’opposer à l’amendement de Monsieur Dreyfus-Schmidt, la ministre déléguée à la famille a affirmé le 21 novembre 2001 lors des débats au Sénat que « l’administrateur ad-hoc pourra engager toutes les procédures nécessaires pour assurer la protection du mineur ».

De même, dans le texte présentant son amendement à la loi sur l’autorité parentale, le gouvernement a précisé que « la désignation de l’administrateur ad hoc dès l’arrivée permettra à celui-ci non seulement d’assurer la représentation légale du mineur dans les procédures et donc d’assurer la défense de ses intérêts, mais également de faire en sorte d’assurer la protection sociale du mineur : l’administrateur ad hoc pourra en suivant les procédures concernant le mineur faire en sorte de veiller à ces conditions d’accueil en faisant le lien avec les autorités compétentes ».

Il en résulte que si la mise en place de l’administrateur ad hoc peut bien apparaître comme un artifice visant à légaliser le placement du mineur isolé en zone d’attente, il n’en demeure pas moins que ce futur intervenant disposera de plusieurs moyens lui permettant d’œuvrer pour la défense des droits du mineur.

En premier lieu, le placement même du mineur en zone d’attente peut être utilement contesté par la voie d’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif, voire par l’introduction d’un référé-liberté devant cette même juridiction. Le placement en zone d’attente semble en effet difficilement compatible avec les dispositions de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant qui dispose que «dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques […], des tribunaux, des autorités administratives […] l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Ainsi, le Conseil d’Etat a pu à juste titre estimer que le renvoi d’un mineur vers son pays d’origine pouvait porter « atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant et devait être regardé comme contraire à l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant » (CE Melle CINAR, 22 septembre 1997).

Une autre disposition de cette même convention peut également être invoquée afin de contester une mesure de placement en zone d’attente : l’article 37 b précise en effet que « la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible ». Aussi, le Comité pour les droits de l’enfant de l’ONU a souligné que les dispositions de l’article 37 b limitant la privation de liberté s’appliquent à toutes les formes de cette privation, y compris dans les « établissements de santé ou de protection de l’enfance, aux enfants demandeurs d’asile et aux jeunes réfugiés ».

Le dispositif de protection et de représentation juridique du mineur prévu dans notre droit interne a également parfaitement vocation à s’appliquer.

Ainsi, la saisine du juge des enfants, naturellement compétent en matière d’enfance en danger, peut être effectuée sur le fondement des articles 375 et suivants du code civil, relatifs à l’assistance éducative, notamment lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises. Ce magistrat est dès lors compétent pour prendre toute mesure de protection qui apparaît nécessaire au regard de la situation de l’enfant et notamment prononcer une mesure de placement auprès de l’Aide Sociale à l’Enfance. Le 1er septembre 2001, le Président du Tribunal pour enfants de Bobigny a par exemple décidé de confier deux enfants camerounais, initialement placés en zone d’attente, à l’ASE de Seine Saint Denis en se fondant sur les articles 375 et suivants du code civil ainsi que sur l’article 3 de la CIDE.

De même, et afin de pérenniser la représentation juridique du mineur, indispensable à l’accomplissement de multiples actes de la vie courante, l’ouverture d’une tutelle au profit du mineur doit être sollicitée. La combinaison des articles 373 et 390 du code civil donne pleine compétence au juge des tutelles pour ouvrir la tutelle au profit du mineur. Il en résulte en effet que ce magistrat est compétent pour ouvrir la tutelle d’un mineur dont les parents sont soit décédés, soit disparus, soit restés à des milliers de kilomètres et donc dans l’impossibilité de manifester leur volonté et qui, par ailleurs, ne dispose pas de représentants légaux sur le territoire français.

Chargé « d’assurer la défense de ses intérêts » et de « veiller à ces conditions d’accueil en faisant le lien avec les autorités compétentes », l’administrateur ad hoc pourra saisir directement le juge des enfants et le juge des tutelles. En effet, concernant le juge des enfants, l’article 375 du code civil précise que « des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice à la requête […] de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur ». Quant au juge des tutelles, il peut se saisir d’office sur simple courrier circonstancié.

Il convient de préciser que la mise en place de ces mesures n’est conditionnée par aucune condition de nationalité ni de régularité de séjour.

Seul le déclenchement du mécanisme de droit commun de protection et de représentation juridique du mineur est susceptible de permettre l’exercice effectif de ses droits et la défense de ses intérêts, comme la France s’y est engagée en ratifiant la CIDE. C’est d’ailleurs l’interprétation retenue par la CNCDH dans son avis du 21 septembre 2000. Après avoir étendu la demande d’admission immédiate du mineur isolé demandeur d’asile (avis du 3 juillet 1998) à tous les mineurs isolés, la Commission admettait en effet, dans l’attente de cette évolution, la possibilité de nommer un administrateur ad hoc à la condition que lui soient conférés de véritables pouvoirs. Elle a même souligné la nécessité de voir tout recours formé contre une mesure de refus d’admission sur le territoire revêtu d’un caractère suspensif, contrairement au droit commun. Recommandation qui n’a malheureusement pas été suivie par le législateur.

L’Anafé candidate ?

Au cours des débats parlementaires, l’Anafé n’a jamais cessé de s’opposer au projet de loi. Elle estimait en effet que le risque de refoulement du territoire français, qui est inhérent à toute mesure de maintien en zone d’attente et qui risque d’intervenir à tout moment, est incompatible avec la situation de danger que présente par définition la présentation d’un mineur isolé à nos frontières. Une protection doit être organisée, que ce soit temporairement ou durablement, en fonction des nécessités individuelles de chacun.

Aujourd’hui, elle s’interroge néanmoins sur le rôle qu’elle pourra jouer dans ce nouveau contexte réglementaire et sa candidature est actuellement à l’étude. Elle pense en effet qu’il reste tout à fait possible de s’opposer, même au cas par cas aux placements en zone d’attente des mineurs en tentant de se faire nommer administrateur ad hoc, sous réserve des modalités fixées par le décret d'application, précisément pour les contester au nom des mineurs. Cette réflexion s’inscrit d’ailleurs dans le droit fil des travaux parlementaires : «Il convient de permettre la désignation par le Procureur de la République d’associations dont l’objet social est la protection des étrangers pour assurer la mission d’administrateur ad hoc auprès d’un mineur étranger isolé» (exposé sommaire de l’amendement présenté par F. Colcombet et adopté).

Compte tenu de l’attention constante qu’elle porte maintenant depuis de nombreuses années et de l’expérience qu’elle a ainsi acquise, elle pourra naturellement sensibiliser les associations traditionnellement désignées comme administrateur ad hoc ainsi que les futurs autres postulants, par des formations et une assistance régulières.

Sa candidature en tant que telle, et/ou celle des organisations qui la composent, auprès du procureur de la République pour être inscrites sur les listes d’administrateur ad hoc tenues dans chaque ressort de Cours d’appel, soulèvent encore de nombreuses questions.

Au-delà des conséquences matérielles, d’organisation et financières notamment, qui ne peuvent encore être mesurées avec précision aussi longtemps que le décret d’application n’a pas été adopté, il ressort, en l’état actuel, des débats internes que l’Anafé serait enclin à proposer sa candidature compte tenu de ses propres particularités et ce, alors même que de nombreuses organisations qui la composent estiment par ailleurs que leur propre candidature ne saurait en aucun cas être envisagée. En présence de ce nouveau dispositif qui a été définitivement adopté, rien ne serait en effet pire que de laisser les mineurs sans aucune protection aux bons soins d’administrateurs ad hoc incompétents, démunis de connaissances juridiques particulièrement complexes et dont la fonction se limiterait à être une simple boîte aux lettres permettant la simple notification de décisions préjudiciables aux mineurs. En tout état de cause, un bilan de cette candidature pourrait être dressé par l’Anafé elle-même, environ deux ans après le début de son intervention, permettant de décider s’il conviendra ou non de la pérenniser.


Janvier 2003


Contact : Caroline Maillary
21 ter, rue Voltaire
75011 Paris