Retour
Violences
Saisines no 2003-17 et 2003-19
AVIS ET RECOMMANDATIONS de la Commission nationale de déontologie
de la sécurité à la suite de sa saisine, le 11
mars 2003, par M. Serge Blisko, député de Paris, et, le
25 mars 2003, par Mme Nicole Borvo, sénatrice de Paris.
La
Commission nationale de déontologie de la sécurité
a été saisie, le 11 mars 2003, par M. Serge Blisko, député
de Paris, de « faits concernant le comportement des forces de
l’ordre lors du “départ groupé” à
destination de la Côte-d’Ivoire le 3 mars 2003 ».
Une lettre du 7 mars de M. T., de nationalité ivoirienne, transmise
au député par la Ligue des droits de l’homme 1,
est jointe à la saisine.
La Commission a été saisie aussi, le 25 mars 2003, par
Mme Nicole Borvo, sénatrice de Paris, « de la situation
créée à l’occasion des “vols groupés”
au départ de l’aéroport de Roissy », et plus
précisément des « conditions dans lesquelles se
dérouleraient ces éloignements ». La saisine fait
référence aux vols des 3 et 25 mars 2003.
La Commission a instruit ensemble ces deux saisines, en recueillant
les éléments d’information pertinents auprès
de la direction centrale de la police aux frontières, de la compagnie
de transport aérien Euralair Horizons, de la Croix-Rouge française
et des deux médecins qui ont accompagné les vols.
LES
FAITS
Le ministère de l’Intérieur a organisé cinq
vols spécialement affrétés en mars et avril 2003
: 3, 20 et 25 mars, 5 et 23 avril 2. Le vol du 3 mars concernait cinquante-quatre
personnes reconduites (trente Ivoiriens, dont huit femmes, et vingt-quatre
Sénégalais) qu’accompagnaient quatre-vingt-huit
escorteurs 3. Celui du 25 mars concernait soixante-cinq personnes reconduites
(cinquante-cinq Ivoiriens et dix Sénégalais), dont huit
femmes, qu’accompagnaient quatre-vingt-dix escorteurs 4.
A
– Le nombre des personnes non admises
La direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) a mentionné
« une pression extrêmement forte de ressortissants de Côte-d’Ivoire,
de Chine et du Sénégal ». Un taux d’occupation
journalier de plus de 400 personnes a été enregistré
en février et mars 2003 en zone d’attente pour une capacité
de 296 places dans les deux zones d’attente 5.
Selon la PAF sont à l’origine de cette situation l’absence
d’effort de régulation des flux à l’embarquement
et la difficulté de contrôler la zone internationale de
l’aéroport de Roissy, compte tenu de la géographie
spécifique du lieu, où les contrôles « en
porte d’avion » permettent seuls d’obtenir des résultats.
Dans ces conditions, les effectifs à réembarquer dépassaient,
selon la DCPAF, les quotas qui pouvaient être imposés –
à leurs frais – pour des éloignements aux compagnies
aériennes ayant amené ces immigrants irréguliers
(convention de Chicago).
B
– Préparation des vols affrétés
Le ministère de l’Intérieur a exposé que
les compagnies de transport aérien ont été choisies
dans le cadre d’une mission confiée à l’agence
qu’utilise le bureau éloignement de la DCPAF suivant des
critères définis par lui ( routing, disponibilité,
prix). Les vols du 3 et du 25 mars 2003 ont été affrétés
auprès de la même compagnie, qui en a assuré aussi
deux autres ; le cinquième vol l’a été auprès
d’une compagnie hollandaise. Les compagnies qui avaient amené
les personnes non admises auraient contribué au financement des
vols spécialement affrétés.
La compagnie a déclaré qu’elle a, de fait, été
contactée par une agence, qui lui a demandé une cotation
pour un routingqui a souvent varié.
Elle a précisé qu’elle ne savait pas alors qui était
le client. La commande posait le problème de l’assistance
au sol en Afrique pour des Boeing 737-800, et celui de la sécurité
au départ et à l’arrivée (aire isolée
et gardée).
La compagnie n’a été informée des caractéristiques
du vol et de la stratégie d’embarquement que 48 heures
avant l’heure prévue. Elle n’a pas eu connaissance
des noms des passagers et n’a pas demandé à les
connaître. La direction de la police aux frontières devait
vérifier que le juge des libertés et de la détention
avait statué sur tous les dossiers des personnes retenues pour
ces vols. Cette vérification porte sur le passage au tribunal
de grande instance (ou à la cour d’appel) et sur la non
annulation de la procédure.
La DCPAF a assuré qu’il ne s’est produit qu’une
seule erreur au sujet de la nationalité sur 200 à 300
dossiers, et que le non-admis concerné a été ramené
en France.
Les personnes à réembarquer ont été transférées
la veille des vols à la zone d’attente ZAPI 2 6, dans des
bâtiments préalablement vidés de leurs occupants.
La DCPAF assure que les consulats de la Côte-d’Ivoire et
du Sénégal ont été informés et que
des diplomates ont demandé à venir en zone d’attente
la veille de l’embarquement ; ils auraient examiné une
dizaine ou une quinzaine de dossiers et discuté avec les ressortissants
de leur pays.
C
– Déroulement des opérations d’embarquement
Les embarquements groupés des 3 et 25 mars ont fait l’objet
d’une note de service de la direction de la police aux frontières
7. De plus, les vols ont été filmés par des fonctionnaires
de la PAF.
Les préparatifs pour l’embarquement des non-admis ont commencé
le 3 mars à 5 heures 30 et le 25 à 6 heures pour des décollages
prévus à 9 heures.
Des fonctionnaires des compagnies d’intervention polyvalente de
la DPAF de Roissy devaient procéder « à la fouille
et au conditionnement des non-admis par nationalité »,
puis à leur installation dans les navettes les transportant de
la ZAPI 2 à l’aire réservée pour l’appareil,
enfin à leur embarquement. Ils les remettaient alors aux escorteurs,
qui étaient déjà installés dans l’avion.
Il y a eu, le 25 mars, un problème d’engorgement pour la
fouille à corps, car le nombre de pièces disponibles pour
cette opération était insuffisant. L’attente dans
les bus a été longue. En définitive, l’avion
qui devait décoller à 9 heures a décollé
après 11 heures et demie 8.
La DCPAF a exposé qu’elle a employé le 25 mars des
attaches textiles utilisables une seule fois, avec lesquelles les personnes
ne risquent pas de se blesser, et parfois des bandes adhésives
pour les genoux et les chevilles, mais que des menottes métalliques
administratives avaient encore été utilisées pour
le vol du 3 mars. Elle a assuré que personne n’a été
bâillonné, ni menacé d’injection, mais que
certains non-admis sont restés entravés jusqu’au
décollage.
Les déclarations de la DCPAF sur l’absence de bâillon
sont confirmées par différents témoins entendus
par la Commission. La DCPAF expose que l’embarquement des non-admis,
« dont M. [T.] », sur le vol affrété du 3
mars « a été perturbé par le comportement
agressif de certains. En effet, une dizaine environ de ressortissants
ivoiriens, refusant de monter à bord de l’avion, se sont
rebellés, ce qui a entraîné l’intervention
des personnels de police pour immobiliser les récalcitrants.
» Plusieurs non-admis ont été embarqués le
3 mars portés à l’horizontale. M. T., âgé
de 20 ans, expose dans la lettre transmise à la Commission :
« j’ai reçu des coups d’une violence extrême
dans la poitrine, mon souffle s’est coupé et je me suis
affalé de tout mon long alors que je n’avais pas opposé
de résistance. [...] J’ai été déshabillé
et mis à nu [...]. Ensuite viennent le ligotage et le scotchage
de la bouche jusqu’aux pieds. [...] J’ai été
suspendu la tête en bas et les pieds en haut comme un gibier mort,
puis jeté violemment dans l’avion sans ménagement
». Pour le vol du 20 mars – dont la Commission n’a
pas été saisie, – l’embarquement aurait été
encore mouvementé. Une personne au moins – une femme –
a été embarquée « momifiée »
le 25 mars. Un médecin s’est trouvé à bord
de chaque vol 9 ; il a assisté aussi au transfert de la ZAPI
à l’aéroport et à l’embarquement. À
compter du deuxième vol affrété (20 mars), un représentant
de la Croix-Rouge française a pris place également dans
le vol ; pour le vol du 25 mars, il s’agissait du responsable
du pôle secourisme de la Croix-Rouge française, qui a accompagné
d’autres vols.
D
– Déroulement des vols
Pour la compagnie de transport aérien qui a assuré les
vols et qui travaille avec de grands voyagistes, la composition de ses
équipages était la composition habituelle Dans les deux
vols des 3 et 25 mars, opérés au moyen d’appareils
Boeing 737-800 de 184 places, les passagers – INAD et escorteurs
– auraient été « au large ». À
l’aller, des sandwiches étaient servis, plateaux et couverts
étant exclus pour des raisons de sécurité. Dans
sa lettre du 7 mars, M. T. écrit toutefois : « durant le
voyage, nous n’avons pas eu droit à une boisson, a fortiori
à un repas. »
Les deux médecins ont précisé que « l’ambiance
était devenue très calme une fois le vol commencé
» (3 mars) et que « les passagers sont restés calmes
pendant tout le voyage » (25 mars).
E
– Déroulement des opérations de débarquement
À l’arrivée, l’escorte, commandée le
3 mars par le chef de la division immigration de la direction de la
PAF de Roissy Le Bourget et le 25 mars par un commissaire de police
de l’OCRIEST 10, ne descend pas. Un fonctionnaire de police du
pays fait l’appel et un fonctionnaire de la PAF remet à
chaque personne une enveloppe contenant ses papiers. L’attaché
de sécurité intérieure de l’ambassade de
France 11 est au pied de l’avion. L’arrivée à
l’aéroport d’Abidjan, le 3 mars, a coïncidé
avec une manifestation d’ex-salariés d’Air Afrique.
Selon la DCPAF, les policiers locaux avaient laisser passer une équipe
de télévision, ce qui a agacé les Africains et
les non-admis qui ont pris à partie un journaliste de la chaîne
12. L’avion a été bloqué pendant deux heures
et demie par des engins. La compagnie assurant le vol avait demandé
des engagements écrits de sécurité, mais n’avait
reçu qu’une réponse orale. Pour les vols suivants,
elle a exigé des engagements écrits du ministère
sur l’organisation des débarquements avec les autorités
locales.
AVIS
A
– Sur la prise en compte de la situation individuelle de chacune
des personnes reconduites
1)
Aux termes de l’article 4 du protocole additionnel no 4 à
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, « les
expulsions collectives d’étrangers sont interdites »
13. Pour la Cour européenne des droits de l’homme est définie
comme une expulsion collective une « mesure contraignant des étrangers,
en tant que groupe, à quitter le pays, sauf dans les cas où
une telle mesure est prise à l’issue et sur la base d’un
examen raisonnable et objectif de la situation particulière de
chacun des étrangers qui forment le groupe » 14. La Cour
s’assure ainsi qu’à ses différents stades,
la procédure suivie offre « des garanties suffisantes attestant
d’une prise en compte réelle et différenciée
de la situation individuelle de chacune des personnes concernées
» 15. La note de service précitée sur les embarquements
groupés des 3 et 25 mars précise que la veille, en début
d’après-midi, trois fonctionnaires de police « vérifieront
l’ensemble des dossiers des non-admis sénégalais
et ivoiriens qui seront convoyés par ce vol groupé ».
L’enregistrement filmé du vol du 25 mars montre que les
responsables de la police aux frontières ont souligné,
après avoir expliqué le déroulement de l’opération
aux non-admis, qu’ils appliquaient la loi : « tous vos droits
sont épuisés » ; « tous vos droits ont été
étudiés » ; « vous avez épuisé
les voies de recours ».
La Commission a donc consulté, à la direction de la police
aux frontières, pour chaque vol, la liste des personnes non admises,
comportant l’indication pour chaque personne de la date de son
arrivée sur le territoire, de sa situation après cette
date, du lieu et de la durée de sa rétention éventuelle,
et la référence des décisions administratives en
application desquelles était exécuté le réembarquement
groupé.
Après examen d’un certain nombre de dossiers 16, la Commission
formule les remarques suivantes :
– Les autorités françaises ont procédé
aux vérifications de situations personnelles prescrites par les
engagements internationaux précités, ainsi qu’il
ressort des fiches transmises par la police aux frontières au
tribunal de grande instance. Il a parfois été nécessaire
de faire évaluer l’âge physiologique des personnes
non admises 17.
– Les délais et les formes imposés par la loi pour
le placement puis pour le maintien en zone d’attente ont été
respectés. Le réembarquement groupé a été
opéré pour presque la moitié des étrangers
dans les derniers jours du maintien en zone d’attente et par prolongation
obtenue du tribunal de grande instance 18. Dans un dossier, le maintien
en zone d’attente par décision administrative a été
renouvelé plus de 48 heures après la première décision
19.
–
Les trente Ivoiriens non admis qui ont été éloignés
le 3 mars avaient tous été présentés au
moins une fois devant le juge judiciaire ; ce n’était le
cas, en revanche, que pour cinq des vingt-trois Sénégalais
non admis par les autorités françaises ; quatre d’entre
eux ont même été éloignés au cours
des premières 48 heures du placement en zone d’attente.
– Un délai supérieur à trois heures entre
la présentation à un officier de police judiciaire et
la notification des droits attachés à la procédure
de non-admission a été constaté dans six des vingt-neuf
dossiers examinés pour le vol du 3 mars.
– Il n’a pas été constaté pour le vol
du 3 mars d’essai de réembarquement pendant la durée
d’instruction d’une demande d’asile. En revanche,
plusieurs présentations au réembarquement ont été
faites sans respecter le délai d’un jour franc fixé
par l’article 5 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 ; le
juge judiciaire, saisi de plusieurs de ces cas, a estimé que
le refus de signer la notification de la décision de non-admission
ne permet pas à la personne non admise de se prévaloir
du bénéfice de cette option qu’elle n’a pas
expressément revendiquée.
– Plusieurs des personnes non admises étaient dépourvues
de documents d’identité ou de voyage ou présentaient
des pièces d’identité falsifiées. Des recoupements
avec les fichiers de la société chargée du contrôle
des documents de voyage à l’embarquement à Abidjan
ont souvent permis d’établir la véritable identité
des intéressés 20.
– Il ressort de la liste établie par la PAF concernant
le vol du 25 mars que cinquante-quatre Ivoiriens avaient demandé
l’asile. Sur les quinze dossiers vérifiés par la
Commission, douze Ivoiriens avaient demandé l’asile, deux
étaient des non-admis, un était classé comme transit
interrompu (en provenance de Moscou).
– Une personne a été embarquée le 25 mars
sans que le TGI ait renouvelé son maintien qui aurait dû
être demandé par la PAF le 24 mars. Beaucoup de maintiens
ont été renouvelés « à titre exceptionnel
» par le TGI pour permettre « l’exécution de
la décision administrative qui a été rendue par
le ministre de l’Intérieur ». Le temps d’examen
des demandes d’asile varie entre 24 heures (deux personnes concernées)
et six jours (une seule) ; la plupart des rejets ont été
décidés entre 48 et 72 heures après la demande.
Les refus sont souvent motivés par la même mention : «
déclarations dénuées de précision ».
2) Dans sa lettre du 7 mars, M. T. expose qu’il est originaire
de la région de Danané, « région actuellement
sinistrée et dévastée par la guerre », et
qu’orphelin de père depuis 1996, il a été
pris en charge par sa tante, assistante sociale à Lille. Il déclare
: « je suis arrivé en France à la suite des événements
qui secouent notre région et dans l’intention de trouver
asile chez ma tante. Aucune considération n’a été
accordée à ma demande en termes d’analyse des motifs
de mes origines ethniques et de mes attaches familiales en France ».
M. T. a été contrôlé, le 23 février
2003, à l’arrivée d’un vol Air France en provenance
d’Abidjan. Une décision de non-admission a été
prononcée à son encontre pour défaut de visa, quatre
heures après sa mise à la disposition d’un officier
de police judicaire, et il a été placé en zone
d’attente ; sa demande d’asile a été rejetée
le 28 février par une décision motivée. Le juge
des libertés et de la détention a prolongé de huit
jours, le 27 février, son maintien en zone d’attente. M.
T. a été expulsé pendant ce nouveau délai.
3) Alors que la compagnie de transport aérien doit être
informée de l’identité de tout passager 21, celle
qui a ramené les non-admis les 3 et 25 mars n’a pas eu
connaissance des noms des passagers.
4)
La prise en compte de la situation individuelle des personnes éloignées
implique que les autorités qui ordonnent leur réembarquement
aient recherché et obtenu l’assurance que le pays de renvoi
les accueillera dans des conditions conformes au droit international.
Les incidents constatés lors de l’arrivée à
Abidjan du vol affrété du 3 mars dénotent une préparation
insuffisante de ce retour. La Commission relève pour ce vol l’absence
de prise en compte de la situation de « guerre endémique
» et des fortes tensions existant avec les autorités de
la Côte-d’Ivoire, et les risques pris d’un possible
dérapage au débarquement. Elle souligne les risques auxquels
ont été exposées les personnes reconduites ce jour-là,
ressortissants ivoiriens et sénégalais, et les fonctionnaires
de police chargés d’exécuter des décisions
administratives d’éloignement.
B
– Sur le comportement des fonctionnaires de police
1)
La Commission formule deux remarques préliminaires :
a)
La direction centrale de la police aux frontières a engagé
une réflexion sur les techniques de contrainte, à la suite
notamment des décès survenus dans des opérations
de reconduite à la frontière à la fin de l’année
2002 et au début de 2003 22. Cette réflexion a fait ressortir
la spécificité des gestes techniques professionnels en
intervention dans les avions. Postérieurement aux vols affrétés
qui font l’objet des saisines examinées, le directeur général
de la police nationale a donc adressé à ses services une
« instruction relative à l’éloignement par
voie aérienne des étrangers en situation irrégulière
» 23. Cette instruction « vise à donner les consignes
et conseils techniques utiles aux policiers pour l’accomplissement
de leurs missions dans le respect du Code de déontologie ».
La Commission prend acte des orientations marquées par ce texte
:
– affirmation de la nécessité d’une spécialisation
et d’une formation spécifique des personnels d’escorte,
« seuls les fonctionnaires formés [pouvant] participer
en tant qu’escorteurs à des missions d’éloignement
» ;
– désignation d’un « superviseur » (officier
ou gradé) pour seconder le chef du dispositif d’escorte,
ce superviseur pouvant être assisté d’un caméraman
chargé d’enregistrer la phase des reconduits à bord
de l’aéronef ; – rappel de ce que « les escorteurs
doivent toujours garder à l’esprit que la mesure d’éloignement
ne doit pas être exécutée à n’importe
quel prix ».
b)
Les embarquements groupés sont désormais filmés
par des fonctionnaires de la PAF au moyen d’un caméscope
24. La Commission a visionné les enregistrements des deux vols
affrétés dont elle a été saisie, celui du
vol du 25 mars étant plus complet que celui du vol du 3 mars.
Plusieurs des remarques critiques de la Commission reposent en partie
sur ces enregistrements, dont la réalisation et la communication
25 marquent une volonté de transparence de la part de la DCPAF.
2)
Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
a recommandé, « lorsqu’une décision d’expulsion
doit être exécutée [...], d’informer la personne
concernée tout au long de la procédure de ce qui l’attend
pour qu’elle puisse se préparer psychologiquement à
l’idée du retour » 26.
L’enregistrement filmé du vol du 25 mars montre que les
responsables de la police aux frontières – directeur central
adjoint et directeur de la PAF des aéroports de Roissy et du
Bourget – ont assisté de bout en bout aux opérations
et se sont adressés à différentes reprises à
des groupes de non-admis. Cette information apportée quelques
heures avant le vol ne saurait toutefois relever – par sa date
et par ses modalités – d’une « préparation
psychologique à l’idée du retour ». Le film
de ces échanges entre les fonctionnaires et les personnes à
éloigner témoigne de l’état d’angoisse
et de souffrance psychologique de celles-ci.
3)
Les différents récits et témoignages concordent
sur la durée excessive de l’opération de fouille
à corps, du fait de l’exiguïté des locaux utilisés.
« Cette opération a été relativement longue
», déclare ainsi un médecin. Bien que le directeur
général de la police nationale ait exposé à
la Commission que la fouille de sûreté au moyen de détecteurs
de métaux 27 n’est qu’« exceptionnellement
approfondie », en impliquant « un déshabillage à
l’exception des sous-vêtements à l’égard
des personnes ayant un comportement à risque » 28, l’enregistrement
vidéo de la préparation de l’embarquement du 25
mars montre que cette procédure exceptionnelle a, au contraire,
été la règle. La dignité due à la
personne de l’éloigné n’a pas toujours été
respectée. C’est ainsi qu’un non-admis à qui
il était ordonné de retirer son pantalon a dû pointer
le doigt vers la caméra pour qu’elle cesse de filmer. L’enregistrement
du vol du 3 mars fait apparaître une personne maintenue allongée
sur le ventre et entravée par des menottes métalliques.
4)
S’agissant de l’embarquement dans les cars qui amenaient
les personnes non admises de la ZAPI 2 à l’aéroport,
puis de la descente des cars et de la montée dans l’avion,
le médecin qui accompagnait le vol du 3 mars a vu « quelques
personnes dont les poignets étaient maintenus par des entraves
en plastique » ; il dit qu’il ne se souvient « pas
d’avoir vu une personne entravée aux jambes ».
Ces personnes amenées par le premier des deux cars « ont
dû être transportées du car à l’avion
», a exposé le médecin, qui a précisé
qu’il est resté sur la piste pendant la plus grande partie
des opérations d’embarquement : « certaines personnes
se débattaient mais aucune ne s’est blessée en se
cognant contre la passerelle ou contre les montants de l’avion.
Je n’ai pas vu porter de coups, mais l’opération
était musclée sans agressivité gratuite ».
Il n’a pas vu non plus de personnes dénudées 29.
La direction centrale de la police aux frontières fait état,
pour sa part, des perturbations causées « par une dizaine
d’individus, de nationalité ivoirienne notamment, très
agités et se montrant récalcitrants ». Il doit être
constaté que ces perturbations n’étaient pas négligeables
puisqu’elles auraient impliqué « une dizaine »
des trente non-admis Ivoiriens. L’enregistrement vidéo
montre, de fait, que plusieurs personnes éloignées ont
été portées entravées dans l’avion.
Le médecin qui accompagnait le vol du 25 mars n’a «
remarqué aucun problème à l’embarquement
dans les cars ou au débarquement des cars ». Pendant l’opération
d’embarquement des reconduits, « ceux-ci n’étaient
pas menottés ». Il n’a pas vu non plus d’entraves
aux membres inférieurs et de personnes « portées
à l’horizontale ». « Les personnes reconduites
portaient seulement autour des poignets des liens en corde. »
Il n’a « pas vu d’actes de violence ».
L’enregistrement du vol du 25 montre toutefois qu’au moins
une personne non admise (une femme semble-t-il) a été
portée à l’horizontale jusqu’au car.
5)
S’agissant de M. T., embarqué le 3 mars, et qui s’est
plaint de coups violents dans la poitrine, de ligotage et de bâillonnement
(cf. supra), la police aux frontières s’est déclarée
dans l’incapacité de préciser quel a été
son comportement exact – et par conséquent quelle a été
l’intervention des forces de police à son endroit –,
car elle n’a collationné aucun élément sur
l’identité des passagers « récalcitrants »,
ceux-ci « ayant tous finalement embarqué sur ce vol ».
La PAF a assuré que les personnels de police qui sont intervenus
ont « strictement respecté les pratiques professionnelles
préconisées dans ce type de situation ». «
Lors de ces opérations, aucune personne, et donc de surcroît
M. [T.], n’a été battue ou [n’a] reçu
des coups ».
6) Le médecin qui accompagnait le vol du 3 mars a vu que les
personnes menottées ou entravées ont été
désentravées « dans l’heure qui a suivi le
décollage ». Son confrère qui accompagnait le vol
du 25 mars a précisé que les liens en corde « ont
été enlevés très vite après le décollage
de l’avion, sauf pour quelques personnes ».
La Commission rappelle que le commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe a recommandé qu’il soit «
interdit [...] dans un avion [...], pour des raisons de sécurité,
de menotter les personnes expulsées de force durant le décollage
et l’atterrissage » 30. La nouvelle instruction souligne
pourtant encore que « les attaches en tissu seront retirées
aux éloignés une fois l’avion stabilisé (quinze
à trente minutes après le décollage), sauf pour
ceux d’entre eux dont le comportement agité justifiera
leur maintien. Il en sera de même pour les moyens de contention
plus contraignants ».
C
– Sur l’accompagnement médical et la présence
de la Croix-Rouge française
1)
Le médecin qui a accompagné le vol du 3 mars n’a
disposé d’aucune information sur les antécédents
médicaux éventuels des personnes éloignées
; aucune personne présentant une pathologie particulière
ne lui a non plus été signalée. Dans l’un
des dossiers examinés, la personne éloignée avait
été présentée au service des urgences médico-judicaires
de l’hôpital de Bondy, qui avait constaté un oedème
de la cheville gauche et une tuméfaction plantaire douloureuse.
Pour le vol du 25 mars, il a été assuré au médecin,
à sa demande, qu’aucune « personne à problème
quelle qu’en fût la raison » ne se trouvait dans l’effectif
à reconduire.
Durant le vol du 3 mars, le médecin est intervenu pour des maux
de tête dus à la déshydratation et pour des crises
d’angoisse. Il n’a pas vu de piqûres et n’a
pas eu à procéder à une injection. Son confrère
n’a eu à connaître, le 25 mars, que de « problèmes
très bénins ».
2)
La Croix-Rouge française est intervenue à la demande du
ministère de l’Intérieur et parce qu’elle
considère que les problèmes liés aux migrations
vont s’amplifier. Après le vol du 3 mars, qu’elle
n’accompagnait pas, le ministère de l’Intérieur
a réuni les associations bénéficiant d’un
droit d’accès en zone d’attente. La Croix-Rouge française
aurait été alors la seule à relever l’invitation
31.
Répondant en mars 2003 à une question sur la reconduite
à la frontière des étrangers en situation irrégulière,
le ministre de l’Intérieur, de la Sécurité
intérieure et des Libertés locales avait précisé
: « dorénavant, il n’y aura pas d’avion de
retour sans qu’une association soit présente dans cet avion
». 32 L’invitation ainsi faite à des organismes extérieurs
est mentionnée aussi par le ministre dans la réponse qu’il
a adressée à la Commission le 17 octobre au sujet des
saisines déjà citées relatives au décès
de personnes reconduites.
Dans les explications données le matin du 25 mars aux non-admis
par la police aux frontières, la présence de la Croix-Rouge
a été signalée :
« la Croix-Rouge est garante que ce voyage se passera dans de
bonnes conditions et qu’on ne vous fera pas de mal à votre
arrivée ».
Son représentant avait reçu mandat de la Croix-Rouge française
d’observer pour rendre compte à l’institution, d’apporter
une assistance sanitaire et un soutien psychologique, enfin d’établir
un contact avec les sociétés de la Croix-Rouge sénégalaise
et ivoirienne 33. Il a assisté aux explications données
en zone d’attente aux personnes reconduites. Il avait le droit
d’intervenir auprès du responsable du dispositif ou du
médecin, et il était évidemment libre d’aller
et venir, assistant notamment aux fouilles à corps. La Croix-Rouge
française n’a pas disposé de la liste des personnes
réembarquées et ne sait pas si certaines de celles-ci
avaient fait l’objet d’un signalement médical.
RECOMMANDATIONS
1) Sur la prise en compte de la situation individuelle de chacune des
personnes reconduites :
Tenir à la disposition des personnalités 34 et organisations
35 auxquelles la loi reconnaît un droit d’accès aux
zones d’attente une liste des personnes non admises qui font l’objet
d’une décision d’éloignement par vol affrété,
avec l’indication pour chaque personne de la date de son arrivée
sur le territoire, de sa situation après cette date, du lieu
et de la durée de sa rétention éventuelle, de la
décision prescrivant le réembarquement groupé.
Revoir le formulaire de notification des droits attachés à
la décision de non-admission afin d’éviter que les
personnes non admises qui refusent de signer ce document opèrent
sans en avoir pleinement conscience le choix de renoncer à la
clause du « jour franc » prévu par l’article
5 de l’ordonnance du 2 novembre 1945.
2)
Sur la fouille de sûreté :
Conserver au déshabillage de personnes auxquelles est due la
dignité un caractère exceptionnel. Si la circulaire du
ministère de l’Intérieur, de la Sécurité
intérieure et des Libertés locales en date du 11 mars
2003 concerne les gardes à vue, les principes qu’elle énonce
en matière de fouille de sécurité sont généraux
et devraient s’appliquer lors des reconduites : « pratiquée
systématiquement, a fortiori avec le déshabillage de la
personne gardée à vue, [la fouille de sécurité]
est attentatoire à la dignité et contrevient totalement
aux exigences de nécessité et de proportionnalité
voulues par l’évolution du droit interne et européen
».
3)
Sur le menottage :
Se conformer à la recommandation du commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe relative à l’interdiction
de menotter dans un avion les personnes expulsées de force durant
le décollage et l’atterrissage.
La Commission estime que devraient s’appliquer aussi à
l’exécution des mesures d’éloignement les
principes énoncés par la circulaire en matière
de menottage, à savoir que celui-ci « ne doit être
utilisé que lorsque la personne est considérée
comme dangereuse pour autrui et pour elle-même ou susceptible
de prendre la fuite ».
4)
Sur la présence d’un médecin et d’un observateur
d’une association humanitaire :
Mettre à la disposition du médecin accompagnant le vol
spécialement affrété les informations sur tous
les antécédents médicaux connus des personnes éloignées,
et en informer l’observateur de l’association humanitaire.
Adopté le 19 novembre 2003
Conformément
à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a
adressé cet avis à
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité
intérieure et des Libertés
locales, dont la réponse a été la suivante :
Notes
:
1 En qualité de membre de l’ANAFE (Association nationale
d’assistance aux frontières pour les étrangers).
2 Les « vols spécialement affrétés »,
pour lesquels tout l’avion est réservé, sont différents
des « retours
groupés sur vols commerciaux », tels qu’il en a été
organisé à destination de la Chine les 26 février,
5 et 12 mars.
3 Dont une personne reconduite d’Allemagne accompagnée
de trois escorteurs.
4 Dont quarante et un fonctionnaires de la direction de la police aux
frontières des aéroports de
Roissy-Charles-de-Gaulle et du Bourget.
5 Zones d’attente des personnes en instance (ZAPI 2 et 3).
6 Transferts assurés par l’entreprise titulaire du marché
pour la gestion des ZAPI.
7 Note de service n° 98-2003 de la direction de la police aux frontières
des aéroports de Roissy et du
Bourget du 28 février 2003 relative au vol du 3 mars, complétée
par une note rectificative n° 138-2003 du 24 mars
2003 pour le vol du 25 mars.
8 Celui du 3 mars avait décollé avec un retard d’une
dizaine de minutes.
9 Médecin généraliste, vacataire auprès
du ministère de l’Intérieur (préfecture de
police ou secrétariat
général pour l’administration de la police) et ayant
accepté d’assurer cette mission.
10 Office central pour la répression de l’immigration irrégulière
et de l’emploi d’étrangers sans titre
(DCPAF).
11 Service de coopération technique internationale de police
(SCTIP).
12 Deux non admis Ivoiriens se sont mêlés à la manifestation,
ce qui a entraîné, selon la DCPAF, l’écart
relevé par la presse : « La police d’Abidjan affirme
que vingt-huit Ivoiriens sont sortis de l’avion ; la France
assure en avoir remis trente ». Sous-titre d’un article
« Des Ivoiriens expulsés par “charter”dénoncent
les “méthodes
atroces” de la police » (Le Monde, 14 mars 2003).
13 Protocole du 16 septembre 1963 « reconnaissant certains droits
et libertés autres que ceux figurant
déjà dans la convention et dans le premier protocole additionnel
à la convention ». Cette interdiction est rappelée
dans la recommandation du commissaire aux droits de l’homme relative
aux droits des étrangers souhaitant entrer
sur le territoire des États membres du Conseil de l’Europe
et à l’exécution des décisions d’expulsions,
paragraphe
14 (19 septembre 2001).
14 CEDH, 23 février 1999, décision n° 45917/99, Andric
c/ la Suède, citée dans le Dictionnaire permanent
du droit des étrangers, article Convention européenne
des droits de l’homme, paragraphe 119.
15 CEDH, 5 février 2002, arrêt n° 51564/99, Conka c/
Belgique.
16 Vingt-neuf dossiers pour le vol du 3 mars, quinze dossiers pour le
vol du 25 mars.
17 18 ans ou plus dans deux des dossiers examinés pour le vol
du 3 mars.
18 Quatorze des trente Ivoiriens éloignés le 3 mars se
trouvaient dans le 18e jour (sept personnes), le 19e
jour (une personne) ou le 20e jour (six personnes) de leur maintien
en zone d’attente.
19 Article 35quater – II de l’ordonnance du 2 novembre 1945.
Refus d’admission prononcé le 11 février à
22 heures, réitéré le 14 à 14 heures 30
; le prolongement au-delà de quatre jours a fait l’objet
de deux décisions du
TGI (15 et 23 février), l’une et l’autre confirmées
en appel (17 et 25 février).
20 Neuf cas dans les vingt-trois dossiers de non-admis ivoiriens examinés
pour le vol du 3 mars.
21 Articles L. 322-2 et L. 323-2 du Code de l’aviation civile.
22 Voir les avis et recommandations de la Commission sur les saisines
n° 2003-3 et n° 2003-4.
23 Instruction diffusée le 17 juin 2003.
24 L’enregistrement est limité aux phases précédant
l’embarquement à bord de l’avion pour les appareils
des compagnies étrangères et pour les avions immatriculés
à l’étranger affrétés par Air France.
25 L’enregistrement a été présenté
dès le 27 mars à la presse, qui en a rendu compte.
26 Recommandation précitée du 19 septembre 2001, paragraphe
14.
27 Article L. 282-8 du Code de l’aviation civile.
28 Lettre du 26 mai 2003 au président de la Commission.
29 Certaines informations publiées dans la presse ont fait état
de tels cas.
30 Document précité du 19 septembre 2001, paragraphe 18.
31 Par une convention signée le 6 octobre, le ministère
de l’Intérieur a confié à la Croix-Rouge
française une
mission d’assistance humanitaire des étrangers, qui implique
une présence permanente de celle-ci dans la ZAPI 3.
32 Assemblée nationale, 26 mars 2003.
33 La Croix-Rouge française a déclaré à
la Commission qu’elle a été déçue
par l’attitude des sociétés
sénégalaise et ivoirienne.
34 Article 720-1-A inséré dans le Code de procédure
pénale par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant
la protection de la présomption d’innocence et le droit
des victimes : députés et sénateurs.
35 Loi n° 92-625 du 6 juillet 1992 sur la zone d’attente des
ports et aéroports et décret n° 95-507 du 2 mai
1995 : délégué du haut commissariat des Nations
unies pour les réfugiés ou ses représentants et
associations
humanitaires (arrêtés des 7 décembre 1995, 29 janvier
et 6 septembre 2001). |